Comment cette crise est-elle devenue une crise juridique ?  Un récit de 2013 à 2021

Il aurait pu s’agir d’une communication confidentielle entre avocats de parties opposées, sauf que Thomas mis en copie Stampa de la correspondance.  Quoi qu’il en soit, nous avons rejeté l’offre, étant donné que 10 % en plus des 5 300 RM ne correspondaient en rien à ce que nous en attendions.

Thomas écrivit une seconde fois à Stampa, faisant état de son objection à la compétence des tribunaux espagnols et de Stampa lui-même.  Mais il n’a pas prétendu que la Malaisie avait été en quoi que ce soit lésée ou contrainte par la façon dont lui et son gouvernement avaient reçu les documents du ministère espagnol des affaires étrangères quelques mois auparavant. Il aurait été difficile d’imaginer comment il aurait pu le faire.

Stampa convoqua une audience de procédure le 25 octobre 2019.  La Malaisie ne s’est pas présentée.  Au cours de l’audience, Stampa “bifurquera » la demande et établi un calendrier de briefing et d’audience.

(La bifurcation est un dospositif fréquent dans les arbitrages internationaux, par lequel un tribunal détermine d’abord s’il est compétent pour entendre une affaire, et ne poursuit que si et quand il prouve qu’il l’est.  En l’affaire, Stampa allait examiner le libellé de l’accord de 1878 afin de déterminer s’il contenait une clause d’arbitrage et, si dans l’affirmative, s’il pouvait se substituer au consul général.  En d’autres termes, Stampa appliquer ce qui lui avait été demandé par le tribunal.

Quelques heures à peine après l’audience de procédure du 25 octobre, un cabinet d’avocats est entré en scène au nom de la Malaisie.  Les avocats madrilènes du grand cabinet londonien Herbert Smith Freehills contactèrent ont contacté Stampa en indiquant qu’ils représentaient la Malaisie et qu’ils souhaitaient être entendus sur la question de la compétence de juridiction. Stampa adapta le calendrier de la procédure afin de les aider et invita les avocats à participer dès lors qu’ils auraient reçu une procuration du procureur général de la Malaisie.

Aucune procuration ne fut délivrée. Dans ses mémoires, Tommy Thomas parle d’un cabinet d’avocats international qui voulait représenter la Malaisie, mais qu’il trouva beaucoup trop cher. Herbert Smith Freehills se retira de l’affaire, pour le moment. La Malaisie n’a plus participé directement à l’arbitrage par la suite.

Cela ne veut pas dire que la Malaisie est restée inactive.  Elle a plutôt cherché à saboter l’arbitrage.  Début décembre 2019, Stampa s’est vu signifier à son bureau des documents par des avocats d’Uria Menendez, un cabinet espagnol de premier plan, sur lequel nous reviendrons plus en détail ci-dessous.

Les avocats d’Uria Menendez remettaient à Stampa une assignation à comparaître devant le tribunal de Kota Kinabalu dans un délai d’une semaine pour se défendre contre une action en injonction anti-arbitrage intentée devant ce tribunal par le gouvernement malaisien.

Une injonction anti-arbitrage est à peu près ce qu’elle semble être : il s’agit d’une décision de justice ordonnant à un arbitre et/ou aux parties de cesser de mener une procédure d’arbitrage.  Mais comme vous pouvez l’imaginer, ce qu’un tribunal malaisien dit à un arbitre basé en Espagne de ne pas faire ne pèsera probablement pas lourd sur la conscience de ce dernier – surtout si cela contredit les actions d’un tribunal espagnol qui a nommé l’arbitre en premier lieu.

Le tribunal malaisien a finalement émis une injonction anti-arbitrage, que Stampa (conformément aux doctrines du droit international) a ignorée.  Notamment, l’un des arguments avancés par la Malaisie dans les documents déposés dans le cadre du procès en injonction à Sabah, grâce à un rapport sur le droit espagnol rédigé par Uria Menendez, était que le ministère espagnol des affaires étrangères n’avait pas correctement signifié l’injonction à la Malaisie.  Selon Uria, la méthode de signification appropriée n’était pas l’ambassade de Malaisie à Madrid, mais plutôt l’ambassade d’Espagne à Kuala Lumpur et, de là, le ministère des affaires étrangères malaisien.  Gardez cela à l’esprit au fur et à mesure que nous avançons et retenez la date : décembre 2019.

Stampa a rendu sa sentence arbitral préliminaire le 25 mai 2020. Il a estimé qu’il existait une clause d’arbitrage valide dans l’accord de 1878 et qu’il était habilité à remplacer le poste de consul général, qui n’existe plus. M. Stampa a également estimé qu’il devait appliquer les principes d’Unidroit en tant que loi applicable, en l’absence de loi spécifique dans l’accord.  Comme indiqué précédemment, les principes d’Unidroit constituent une synthèse moderne des doctrines nationales et transnationales en matière de contrats, reflétant les principes généraux du droit international des contrats.

L’arbitrage est donc passé à la phase du « fond ».  Nos avocats ont déposé une longue requête en juin 2020, demandant jusqu’à 32 milliards de dollars de dommages et intérêts.  Leur argumentation, en résumé, était que la Malaisie avait tellement profité de l’accord qu’il était légalement nécessaire et approprié de « rééquilibrer » le contrat pour refléter plus précisément l’état actuel des choses.  Les principes d’Unidroit et la doctrine du changement de circonstances en droit espagnol, appelée rebus sic stantibus, ont illustré et étayé cette conclusion.

A son d’habitude, la Malaisie invitée à soumettre une déclaration de défense, refusa de répondre aux demandes répétées de Stampa.  La seule chose que la Malaisie fit pendant cette période a été de déposer une requête en annulation de la sentence arbitrale préliminaire de Stampa auprès du TSJM, en octobre 2020.  Uria Menendez représentait la Malaisie.

Stampa demanda une audience sur le fond en février 2021.  L’audience se déroula à distance, en raison de la pandémie en cours.  La Malaisie a de nouveau été invitée, mais ne s’est pas jointe à l’audience.  Stampa a officiellement clôturé la procédure le 5 mars 2021 et s’est engagé à rendre la sentence arbitrale finale pour le 2 septembre 2021.